Le scandale des Prothèses de Hanche Métal-Métal , ou le silence inquiétant des agences de santé

Entre 2003 et 2009, un grand nombre d’études médicales et d’articles de presse ont mis en évidence de sérieux problèmes avec les prothèses de hanches de type métal sur métal.

En vérité, dès 2010, le rappel mondial des prothèses de hanches ASR métal sur métal par DePuy à la suite d’une class action américaine portant sur plusieurs milliards de dollars, a sonné le glas de cette technologie.

Pour autant cela n’empêchait pas les autres fabricants à continuer de les commercialiser, se réfugiant derrière de l’aval des autorités de Santé, en France l’ANSM.

Et pourtant, un nombre important de personnes ayant subi un implant de ce type de prothèse métal sur métal subissent des symptômes allant du léger désagrément jusqu’a des problèmes débilitants.

Ces problèmes résultent d’un phénomène connu de longue date : Pour faire simple, le frottement des deux parties qui composent la prothèse s’usent et disséminent des minuscules particules métalliques (d’ions Chrome et Cobalt dans l’organisme). C’est la ionisation.

Or les effets du Chrome Cobalt en grande quantité dans le sang sont connus depuis longtemps et devraient inquiéter sérieusement les autorités sanitaires.

 

Description d’une prothèse de hanche

La prothèse de hanche se présente en trois parties :

  • Une tige destinée à être implantée dans le fémur
  • Une tête fémorale, soit vissée sur le col de la tige soit directement usinée sur la tige (monobloc)
  • Un cotyle, sorte de coupole dans laquelle vient se loger la tête fémorale, et qui est fixée sur le bassin.

Entre la cotyle et la tête fémorale se produit un « couple de frottement ». Quatre grands types de matériaux sont utilisés pour ce couple de frottement :

  • Métal-polyéthylène : couple de frottement dit de référence, disposant du plus grand recul. Leur durée de vie généralement admise étant de 15 à 20 ans ;
  • Céramique massive-polyéthylène;
  • Céramique-céramique;
  • Métal-métal, composée d’un mélange Chrome-Cobalt.

Les prothèses à couple de frottement métal-métal Chrome Cobalt ont été développées pour répondre au problème de l’usure du polyéthylène, mis en cause dans le processus conduisant au descellement aseptique à long terme des implants, et au problème de rupture d’implant rencontré avec les prothèses en céramique.

Par définition plus robustes que les autres, les prothèses MoM pouvaient être utilisées dans le cadre d’activités sportives ou d’activités professionnelles exigeantes.

En d’autres termes les prothèses Métal-Métal chrome cobalt s’adressaient par conséquent aux personnes jeunes, actives et/ou sportives.

En réalité, jusqu’à aujourd’hui selon la HAS (Haute Autorité de la Santé), ces prothèses à couple métal-métal n’ont pas montré de supériorité en termes de survie d’implant et de résultats fonctionnels par rapport aux prothèses à couple de frottement de référence métal-polyéthylène conventionnel et aux prothèses à couple de frottement céramique d’alumine-céramique d’alumine[1].

Et pourtant les alertes sur la dangerosité de ces implants ne datent pas d’hier.

 

Les connaissances sur le relargage ionique de ces prothèses remontent à bien avant 2010

Dès 2003et la commercialisation des premières prothèses Métal-Métal, une équipe de chercheurs autrichienne de Vienne mettait en évidence le relargage d’ion métallique en grande quantité dans le sang du patient du fait du frottement de la tête fémorale sur le cotyle[2]. Elle recommandait à cet égard un suivi régulier des patients afin d’identifier rapidement d’éventuelles complications.

En 2005, une autre équipe de chercheurs australiens parvenaient aux mêmes conclusions et insistaient sur la toxicité des ions métalliquessur les tissus mous proches du matériel prothétique[3].

Ces recherches allaient d’ailleurs trouver un écho favorable en France puisqu’en raison de l’incertitude sur les conséquences cliniques à long terme d’une exposition prolongée aux ions métalliques relégués par les articulations métal-métal, la Commission National d’Evaluation des Dispositifs Médicaux avait dans un avis du 5 septembre 2007[4]  recommandé la mise en place d’un suivi clinique chez les patients implantés.

Entre 2005 et 2008plusieurs études britanniques publiées dans la revue de référence The Journal of Bone& joint surgery[5], insistaient sur les risques liés aux concentrations élevés d’ions métalliques chez les patients ayant eu une prothèse de hanche métal-métal.

Tant est si bien qu’en novembre 2009, la société DEPUY préférait retirer du marché australien sa prothèse Métal-Métal ASR.

Notons à cet égard qu’en 2005un document interne de la société DEPUY, révélé en février 2012 par la chaine d’information anglaise BBC, mentionnait le risque de fuites d’ion métallique dans le sang de patients ayant eu une prothèse de hanche métal-métal.

Il faut savoir que cette révélation allait déboucher sur une class action devant les tribunaux américains. La société DEPUY a d’ailleurs transigé pour 2,5 milliards de dollars avec les victimes américaines[6].

En juillet 2010une équipe de chercheurs français publiait une étude alarmante sur les prothèses Métal/Métal dans la revue de chirurgie orthopédique et traumatologique, dont le résumé est rédigé comme suit :

« Certaines inquiétudes ayant récemment été rapportées sur les couples de frottement métal-métal (M-M) des arthroplasties totales de hanche, le but de ce travail était de faire le point sur les connaissances actuelles concernant le relargage d’ions métalliques et ses conséquences potentielles. (…) Les pseudotumeurs solides concernent quasi exclusivement les resurfaçage, avec un taux de révision annuel important chez les femmes de 40 ans, survenant surtout en cas de malposition acétabulaire et avec l’usage d’alliage de Cr-Co coulé. L’osteolyse se manifeste par des liserés globaux et évolutifs ou par des lésions cavitaires qui ont pour étiologie des altérations type ALVAL (réaction allergique locale autour de l’articulation)ou des problèmes de conflit ou d’incompatibilité d’implants. La formation en débris excédant la tolérance biologique est à craindre en cas de malposition des implants, de subluxation et gripage de la tête en cas de déformation de la cupule acetabulaire.

Dans l’état actuel des connaissances, les groupes M-M sont contre-indiqués en cas d’allergie aux métaux ou de dysfonction rénale sévère et les resurfaçages de petite taille sont à utiliser avec prudence ».

Conclusion, en 2010 aucune institution sanitaire ni aucun fabricant d’implant ne pouvait déclarer ne pas avoir conscience des risques pour la santé de ce relargage d’ion métalliques.

C’est la raison pour laquelle en 2013 la société DEPUY a, du reste, préféré transiger à 2,5 milliards de dollars plutôt que prendre le risque d’un procès perdu d’avance.

 

Etat des connaissances sur la dangerosité des ions chrome-cobalt en grande quantité

Le Cobalt est un élément rare sur la surface de la terre et présent naturellement, en infime quantité, dans l’organisme humain.

Il est même essentiel puisqu’il se synthétise en vitamine B12 (COBALAMINE).

Toutefois, en grande quantité dans l’organisme, cette substance devient dangereuse.

Dès les années 1980, de multiples études sur le sujet ont confirmé ses risques toxicologiques, et notamment :

  • Une étude de 1989: Domingo JL.Cobalt in the environment and itstoxicological implications (Rev Environ ContamToxicol 1989 ; 108 : 105-132).
  • Uneétude de 1994: Lauwerys R and Lison D. Health risks associated with cobalt exposure – an overview (OccupEnviron Med 1994; 51: 447-450)
  • Une étude de 1999: Barceloux DG. Cobalt (J ToxicolClinToxicol 1999; 37: 201-206).

Une étude de synthèse en date de 2012  menée par les Professeurs CATALANI, RIZZETTI, PADOVANI et APOSTOLI confirment cette dangerosité dans une étude de plusieurs pages :

« Exposure and effects of Cobalt have been described in many studies, reviews and toxicology books. Some important reviews showed that the main acute and chronic effects concern the respiratory system heart and thyroid. A genetoxic and carcinogic action was described in the IARC monograph in which Co is classified as group 2A (probably carcinogy to humans).

Isolated case reports of neurological symptoms after exposure to high doses of Co were also described, following professional exposure, therapeutic ingestion of cobalt chloride and metallic ion release from colbalt-chromium alloy in orthopaedic implants (prosthesis)”.

Traduction :

Les expositions et les effets du cobalt ont été décrits dans de nombreuses études, livres et toxicologie. Certaines revues importantes ont montré que les principaux effets aigus et chroniques concernent le système respiratoire, le cœur et la thyroïde.

Une action génotoxique et cancérigène a été décrite par le Centre international de Recherche sur le cancer (CIRC) et classé dans le groupe 2A (probablement cancérigène pour l’homme).

Ont également été décrits des rapports de cas isolés de symptômes neurologiques après l’exposition à de fortes doses de Cobalt, suite à une exposition professionnelle, l’ingestion thérapeutiques de chlorures de colbalt (CoCL2) et métallique libérations d’ions de Cobalt-chrome (Co-Cr) dans les implants orthopédiques (prothèses).

Ils notent que depuis 60 ans la moitié des cas des plus graves concernaient des prosthèses de hanche, ce qui montre que la problématique des relargages ionique de ces prothèses dans l’organisme est connue depuis plusieurs décennies.

 

La position attentiste des autorités de santé Françaises

A partir de 2009, les données de registres nationaux australien[7], anglo-gallois[8]et néo-zélandais[9]ont rapporté un risque de reprise supérieur pour les prothèses métal-métal par rapport au couple de référence métal-polyéthylène et ont récemment alerté les autorités sanitaires de plusieurs pays.

Il en était de même en Australie.

Et dès 2010, en Angleterre, la MedicalDeviceAdmnistration (MDA) rend une alerte en ce sens.

Alors qu’une class action portant sur plusieurs milliards était en cours aux états unis contre un autre fabricant, l’AFSSAPS, à cette période, préférait ignorer cette problématique.

Pour être précis, l’AFSSAPS, dans une recommandation de 2010, prenait acte de ce que ces prothèses relarguaient des ions chrome-colbat en grande quantité dans l’organisme mais, en l’absence d’étude probante sur les conséquences sur la santé de ce phénomène, cet organisme

Il faudra attendre un arrêté du Ministère de la Santé en date du 2 décembre 2013 pour que certaines prothèses métalliques incriminées (par exemple la BHR de Smith & Nephew) soient retirées du marché français (elles ne sont pas toutes retirées en revanche). Et encore il ne s’agit pas à proprement parlé d’un retrait mais d’un déremboursement. C’est-à-dire la mort économique de la Prothèse (qui passe de gratuite à payante).

Sur ce point, il convient de préciser que par exemple l’arrêté du 2 décembre 2013 qui concerne les BHR de Smith & Nephew, accordera curieusement un délai de 9 mois, soit jusqu’en août 2014, pour arrêter la pose de ce type de prothèse. Autrement dit l’ANSM les considère comme inutile, mais malgré les polémiques sur la ionisation permet leur commercialisation jusqu’à épuisement des stocks. Ce qui est à proprement parler ahurissant.

Depuis quelques années, la HAS a émis des recommandations de déremboursements d’un grand nombre de prothèses Métal-Métal. De fait n’étant plus intéressantes économiquement pour les patients (puisque non remboursées) les fabricants les ont retirés de la vente, sans avoir eu à s’expliquer sur leur potentielle dangerosité.

Certains se sont alors demandé s’il ne s’était pas agi d’une stratégie des autorités de santé d’obtenir le retrait discret de ces implants sans avoir également à s’expliquer sur leur dangerosité et surtout d’éviter la délicate question : Pourquoi l’ANSM ne les a-t-elle pas interdites plus tôt.

Mais …

… L’ANSM a ses raisons que seule l’ANSM connait.

 

Laurent GAUDON

 

[1]Rapport d’évaluation de la HAS sur les prothèses de hanche à couple de frottement métal-métal en mai 2013.

[2]Four-yearstudy of cobalt and chromiumbloodlevels in patients managedwithtwodifferentmetal-on-metal total hip replacements, Journal of OrthopaedicResearch

Volume 21, Issue 2, pages 189–195, March 2003. Lien internet : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1016/S0736-0266%2802%2900152-3/abstract

[3]Complications Associatedwith Hip ResurfacingArthroplasty ,OrthopedicClinics of NorthAmerica, 2005. Lien :=http://www.kcrlegal.com/resources/1/PDFs/ASR%2020.pdf

[4]Haute Autorité de Santé. Evaluation des prothèses de hanche. Saint-Denis La Plaine: HAS;     2007. http://www.has- sante.fr/portail/plugins/ModuleXitiKLEE/types/File Document/doXiti.jsp?id=c_596139

[5]The Effects of Component Size and Orientation on the Concentrations of Metal Ions AfterResurfacingArthroplasty of the Hip , The Journal of Bone& Joint Surgery,September 2008. Liens :http://www.kcrlegal.com/resources/1/PDFs/ASR%2018.pdf

The Validity of SerumLevels as a SurrogateMeasure of SystemicExposure to Métal Ions in Hip Replacement , Journal of Bone& Joint Surgery, 2007. Lien : http://www.kcrlegal.com/resources/1/PDFs/ASR%208.pdf

[6]Journal L’express en date du 20 novembre 2013 : http://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/etats-unis-j-j-va-payer-2-5-milliards-de-dollars-d-indemnites_1484969.html

[7]AustralianOrthopaedic Association National Joint Replacement Registry. Hip and kneearthroplasty. Annual report 2011. Adelaïde: AOA; 2011. http://www.surfacehippy.info/pdf/australian-nat- reg-2011.pdf

[8]National Joint Registry. National Joint Registry for England and Wales. 9th annual report. HemelHempstead: NJR; 2012. http://www.njrcentre.org.uk/NjrCentre/Portals/0/Do cuments/England/Reports/9th_annual_report/NJR %209th%20Annual%20Report%202012.pdf

[9]New ZealandOrthopaedic Association. The New Zealand Joint Registry. Twelveyear report. January 1999 to december 2010. Christchurch: Canterbury        District     Health       Board;       2011. http://www.nzoa.org.nz/files/NJR%2012%20Year %20Report%20Jan%2099%20- %20Dec%202010.pdf