En tant qu’avocats des victimes d’implants PIP, le scandale ALLERGAN qui s’annonce nous paraît surréaliste. C’est un véritable cauchemar. La suite tragique d’un film d’horreur à succès.
L’enquête Implantfilesa été menée pendant plus de 3 ans par un consortium international de journalistes (l’ICIJ) sur les dysfonctionnements de la surveillance européenne des dispositifs médicaux. Elle a permis d’établir que les prothèses mammaires ALLERGAN/McGHAN étaient à l’origine d’un grand nombre de tumeurs très spécifiques : le Lymphome Anaplasique à Grandes Cellules Associé aux Implants Mammaires (LAGC-AIM).
Début janvier 2019, on dénombre en France 58 cas de LAGC-AIM. Et leur nombre est monstrueux à l’échelle des pays européens. Qu’en est-il du reste du monde ?
Cette forme de cancer est très agressive, et même si son pronostic est plutôt bon, on dénombre déjà 2 victimes en France.
Sauf que lorsque nous écrivons que les journalistes d’#implantfilesont établi le lien entre le LAGC-AIM et ALLERGAN/ McGHAN nous extrapolons un peu. Car en vérité comme nous allons le voir plus loin, les agences de santé, les sociétés de surveillance, les Comités de suivi des femmes porteuses d’implants mammaires… connaissaient ce lien depuis longtemps.
Les journalistes n’ont fait – et c’est déjà énorme – que mettre au jour un scandale sanitaire que tout le monde avait tenté de cacher.
Or après le scandale PIP, qui avait mis en évidence des manquements gravissimes de la part des sociétés chargées de contrôler les processus de fabrication des implants mammaires (les Organismes Notifiés, notamment TÜV Rheinland), mais aussi un manque de réactivité lamentable des institutions publiques chargées de la sécurité sanitaire, nous supposions que le message était passé, et que plus jamais ce type de scandale ne se reproduirait.
Et nous étions en tout cas en droit de penser qu’après l’affaire PIP, une attention encore plus importante et spéciale serait portée aux implants mammaires.
Et bien non. L’histoire bégaie.
Surtout, et c’est là que l’histoire se répète tragiquement, que les agences de santé publique censées nous préserver de ces drames étaient parfaitement alertées dès 2012 de ce qu’ALLERGAN serait le prochain scandale sanitaire.
Il n’y a qu’à relire les blogs de bon nombre de victimes impliquées dans la défense d’autres victimes, pour se rendre compte que les défaillances constatées sur les ALLERGAN/McGHAN étaient connues de longue date (voir par exemple le blog de Joëlle Manighetti).
Pire, et cela ne devra pas rester impuni, l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé) était alertée dès 2012 des problèmes rencontrés par les victimes porteuses d’ALLERGAN, par son propre système de matériovigilance, et lors des réunions du Comité de suivi des porteuses d’implants mammaires dont elle était pourtant co-animatrice.
Vous voulez une preuve de ce que nous avançons ? La voici :
- L’ANSM savait depuis 2007 que les implants ALLERGAN/McGHAN causaient plus d’inflammations locales chroniques que les implants PIP, pourtant remplis d’un gel frauduleux.
A la suite de la découverte de la fraude PIP, l’ANSM (qui s’appelait encore l’AFSSAPS), rendait un rapport d’étape le 1er février 2012.
Ce rapport recensait tous les incidents signalés depuis 2001 pour chaque fabricant. Voici les résultats connus et publiés en 2012 :
En graphique cela donne ceci, et c’est encore plus parlant
Comment interpréter ces chiffres publiés en 2012 ?
Durant les premières années il était normal que les signalements soient peu nombreux, car le remplissage des implants avec du silicone venait à peine d’être autorisé. C’est en toute logique qu’au fur et à mesure des années, et donc de l’ancienneté des prothèses implantées, le nombre de signalements augmente pour chaque fabricant.
Il n’en demeure pas moins qu’à partir de 2007, deux fabricants se démarquaient significativement des autres : le premier PIP, depuis condamné pour tromperie aggravée, et le second ALLERGAN/McGHAN, dont les chiffres étaient même 40 % supérieurs à ceux de l’escrocPIP.
On pouvait même dire qu’en 2009, la société ALLERGAN/McGHAN représentait à elle seule plus de 42 % de tous les incidents rapportés à l’ANSM !
Certes, les chiffres de matériovigilance ne sont pas des indicateurs très précis. En effet, peu de chirurgiens déclarent vraiment à l’ANSM les incidents qu’ils rencontrent. Quant aux fabricants, on pourrait penser – et c’est ce qui avait été plaidé par PIP d’ailleurs – que ceux qui déclarent le plus d’incidents sont en vérité ceux qui ne craignent pas de dire la vérité sur leurs retours de produits.
Sauf qu’on s’était aperçu lors du procès PIP, et l’ANSM qui était partie civile à ce procès s’en était forcément aperçue aussi, que les entreprises qui déclaraient leurs incidents n’étaient pas forcément les plus honnêtes. Au contraire. La preuve PIP.
Et si ces chiffres de matériovigilance doivent être évidemment corroborés par d’autres données plus précises, ils sont un indicateur, une tendance, à prendre très au sérieux. Et qui devrait justement conduire à des enquêtes sérieuses.
La position attentiste de l’ANSM au regard d’ALLERGAN/McGHAN en 2012, alors qu’elle dépose un rapport mettant en évidence un nombre de signalements de matériovigilance ahurissant est coupable à mes yeux.
- De 2012 à aujourd’hui l’ANSM s’est toujours refusée à incriminer ALLERGAN malgré les alertes incessantes des associations de victimes lors des Comités de suivi.
A partir de 2012, la Direction Générale de la Santé (DGS), département sous la direction directe du Ministre de la Santé, a décidé d’organiser un Comité de suivi des porteuses d’implants mammaires, toutes marques confondues.
Participaient à ces réunions : l’ANSM, les représentants des chirurgiens esthétiques, des membres du ministère de la Santé (notamment Agnès BUZYN) et des associations de porteuses d’implants mammaires, et notamment deux lanceuses d’alertes aujourd’hui très connues : Annie Mesnil et Joël Manighetti.
Les associations de victimes nous ont fait parvenir l’ensemble des comptes rendus de ces Comités de suivi, ainsi que leurs propres comptes rendus. L’analyse de ces documents est accablante pour l’organisme de santé publique, qui non seulement n’a toujours pas interdit ALLERGAN/McGHAN malgré les alertes incessantes des associations de victimes, mais surtout qui jusqu’à l’émission d’Elise LUCET (Cash Investigations diffusée le 27/11/2018) s’est même interdit de n’incriminer ne serait-ce du bout des lèvres la société ALLERGAN.
Ainsi :
Lors du compte rendu du Comité de suivi en date du 10 septembre 2013, les associations de victimes faisait effectivement état des craintes et des plaintes de plus en plus nombreuses reçues vis-à-vis d’ALLERGAN. Au vu des chiffres de matériovigilance dont disposait l’ANSM ce ne devait pas être une surprise.
La DGS s’était alors engagée – dans son propre compte rendu- à faire un point en octobre 2013 sur cette question. Nous l’attendons encore.
Notons que notre Ministre de la Santé actuelle, Agnès BUZYN, était présente lors de cette réunion.
Un avis de l’INCa (Institut National du Cancer) en date du 5 mars 2015établissait un lien certain entre les implants macro texturés et le LAGC-AIM, tout en précisant un risque peu élevé (1/5000) et sur une longue période (15 ans).
En juillet 2015, à l’occasion encore d’une réunion du Comité de suivi des porteuses d’implants mammaires, les associations de victimes ré-alertaient sur les implants ALLERGAN/McGHAN et sur les risques accrus de LAGC-AIM.
La réponse du représentant de l’ANSM, Monsieur Mahmoud ZUREIK était la suivante :
« Ce fabricant a été inspecté en Grande Bretagne ; en effet, des problèmes ont été évoqués en 2007 … il y a eu des changements de protocoles de fabrication … il y a eu divers rachats de la marque … ».
Lors de cette réunion (28 juillet 2015), la DGS prenait acte de ce que 22 cas de LAGC en lien avec les implants texturés étaient incriminés.
Mais, faisant fi des alertes des associations, l’ANSM préférait n’incriminer aucune marque précise.
Surtout pour être sure qu’aucune incrimination ne soit faite à l’avenir, lors de cette réunion, l’ANSM allait surtout annoncer que l’étude dénommée LUCIE, destinée à analyser et suivre plus de 100 000 porteuses d’implants de toutes marques, serait stoppée. Manière d’enterrer les études sur le lien entre le LAGC et les implants, et particulièrement ceux d’ALLERGAN/McGHAN ;
Le rapport de l’ANSM en date du 27 octobre 2015 confirmait la fin de l’étude LUCIE, et l’existence de 24 cas (2 de plus) de LAGC-AIM dont deux décès. Pas un mot sur le fabricant ALLERGAN, dont les oreilles avaient pourtant sifflé lors de la réunion du 28 juillet 2015.
Lors de la réunion du Comité de suivi en date du29 juin 2016 l’INCa signalait qu’un registre national des cas de LAGC était en cours d’établissement et que d’ores et déjà il était avéré que les implants mammaires à enveloppe texturée (ou « micro » voire « macro-texturée ») étaient en cause et que la marque ALLERGAN était majoritairement présente dans les cas de LAGC.Plus personne ne pouvait dès lors l’ignorer. L’ANSM ne pouvait plus ne plus incriminer aucune marque.
Là encore, le communiqué de l’ANSM publié le 6 juillet 2016, soit une semaine plus tard, ne disait pas un seul mot sur les risques objectivés par l’INCa s’agissant des implants texturés, et encore moins sur le resserrement des études critiques sur la marque ALLERGAN/McGHAN.
Enfin lors d’une des dernières réunions du Comité de suivi en date du 19 septembre 2017, le professeur LANTIERI déclarait qu’ALLERGAN était un responsable reconnu des cas de LAGC et demandait pourquoi la fabrication de ces implants mammaires n’était toujours pas suspendue. Notons que dans cette réunion, le Dr. REYAL représentant l’Institut Curie déclarait ne plus implanter d’ALLERGAN notamment du fait des risques connus de LAGC.
L’ANSM n’en tirait pour autant aucune conséquence, laissant ainsi des milliers de femmes continuer à se faire implanter des dispositifs médicaux dont elle n’ignorait pas la défectuosité.
- Que savait t-on sur ALLERGAN/McGHAN en 2012 ?
L’ANSM pourrait-elle dire qu’elle ne savait pas que les implants ALLERGAN posaient problèmes et qu’ils auraient dû être retirés plus tôt, et cela dès 2012 ?
Cela ne me paraît pas sérieux.
La protection de la santé publique dont est en charge l’ANSM repose sur le principe de la balance Bénéfice/Risque.
Par définition, tout médicament et tout dispositif médical implantable présente un risque pour la santé, même minime. L’ANSM doit donc comparer le risque pris avec les bénéfices engendrés. Et il faut bien évidemment faire une distinction entre un dispositif implantable thérapeutique (qui sauve la vie) avec un dispositif non thérapeutique (purement esthétique)
Par exemple une sonde cardiaque est un dispositif implantable qui par nature présente certains risques (risques lors de l’implantation, risques de rejet, risques de fuites …), mais qui valent le coup d’être pris, car à défaut c’est la mort assurée.
En matière esthétique, le risque supportable doit être en revanche infinitésimal, et ne concerner au pire que ceux existants lors de l’implantation. Par définition le patient étant en bonne santé, il ne saurait être toléré que sa santé se trouve dégradée par un dispositif dont l’utilité n’est qu’esthétique.
Et dans le cas de l’affaire ALLERGAN/McGHAN le risque à considérer doit être encore plus infinitésimal dans la mesure où il existe plusieurs autres marques et types d’implants en alternative aux ALLERGAN.
C’est dire qu’en 2012, lorsque l’ANSM publiait des chiffres de matériovigilance plus alarmants pour ALLERGAN/McGHAN que pour PIP, l’ANSM avait l’obligation de suspendre ce dispositif, même temporairement le temps d’organiser une enquête plus minutieuse.
Il n’est pas tolérable, et c’est pour moi une faute juridique très lourde, de laisser sur le marché un dispositif médical implantable à but non thérapeutique sachant que l’on sait qu’il occasionne plus d’alertes de matériovigilance (plus du double) que celui fabriqué par une société depuis condamnée pour tromperie aggravée (PIP).
Il n’est pas tolérable, et il s’agit d’une faute juridique immensément lourde, de laisser sur le marché un dispositif médical implantable non thérapeutique destiné à être implanté dans le corps de femmes à l’endroit même où elles ont eu un cancer, alors que l’on sait que celui-ci occasionne un nombre d’inflammations locales chroniques disproportionné par rapport aux implants mammaires des autres fabricants.
Surtout lorsque l’on sait que les inflammations locales chroniques occasionnent des cancers et des tumeurs.
Et l’ANSM le sait parfaitement puisque dans son rapport d’étape rendu le 1erfévrier 2012 dans l’affaire PIP elle rappelait elle-même en page 124 que « La mise en place d’une réaction inflammatoire chronique locale constitue un facteur de risque reconnu de cancer[1]. ».
Et dans le cas des implants texturés d’ALLERGAN, c’est bien là le problème.
Ces implants sont texturés pour obtenir un effet Velcro et ne pas se déplacer dans la loge du sein. Sauf qu’à l’usage cet effet Velcro entraîne du fait du frottement rugueux beaucoup plus d’inflammations que les implants dits « lisses ».
C’est une évidence, à l’instar de ce que le Professeur LANTIERI déclarait dans l’émission « Cash Investigation », la suspension des implants ALLERGAN/McGHAN ne relevait donc pas du principe de précaution (risque hypothétique mais plausible) mais du principe de prévention (risque avéré et répertorié).
Dès lors qu’il s’agit d’un dispositif médical non thérapeutique et substituable, le maintenir sur le marché est criminel.
- L’inertie de l’ANSM dans la suspension des ALLERGAN occasionne des conséquences tragiques
Les données collectées par les associations de victimes PIP françaises nous donnent une idée de la gravité occasionnée par l’inertie de l’ANSM.
Lors du scandale PIP, des milliers de victimes se sont retrouvées en état de choc psychologique intense et un préjudice d’anxiété reconnu judiciairement. Ce scandale a eu une répercussion très lourde sur leur vie. Or il ressort des données collectées par les associations que 25 % d’entre elles se sont vues implanter des prothèses ALLERGAN en remplacement des PIP !!!
Un nombre significatif d’entre elles s’étaient vues implanter des PIP à la suite d’un cancer du sein. L’affaire PIP a donc été comme on peut l’imaginer cauchemardesque pour elles. Aujourd’hui elles apprennent qu’on leur a retiré des PIP pour mettre à la place des implants encore plus nocifs.
L’ANSM aura beau jeu de dire qu’il n’est pas nécessaire à ce stade de l’affaire d’explanter les implants ALLERGAN, le préjudice d’angoisse et d’anxiété est 10 fois plus élevé que pour PIP. Imaginez l’état d’esprit des patientes aujourd’hui. Imaginez ce qu’elles peuvent penser quand on leur explique que l’organisme chargé de les protéger n’a que faire de leur sort.
Quelle irresponsabilité !!!
- Sur les suites judiciaires et la nécessité d’une coopération internationale d’avocats
Plusieurs victimes PIP m’ont contacté pour engager des poursuites.
Nous allons engager ces poursuites.
D’abord contre le fabricant lui-même, mais aussi et surtout à l’encontre de l’ANSM.
Cette procédure se fera devant les juridictions pénales, et une mise en examen de l’ANSM pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui me parait inévitable. Rappelons que 58 cas de LAGC-AIM sont actuellement recensés en France, ayant déjà occasionné 2 décès.
Cette procédure devra se faire également devant les juridictions civiles (ici administratives) aux fins d’indemnisation. Cette procédure sera plus difficile à mener car les juridictions administratives ont plutôt tendance à protéger les intérêts publics, plutôt que la sécurité des personnes prises individuellement.
Il va de soi que l’ANSM devra nous communiquer le détail de toutes les informations dont elle a eu connaissance, le détail de tous les incidents de matériovigilance dont elle a été destinataire, le détail de tous les documents dont ont été destinataires la section dispositifs médicaux de l’ANSM …
Seul un tribunal administratif peut obliger une institution publique comme l’ANSM à communiquer ces informations. Il existe un risque que les tribunaux administratifs refusent de la forcer à communiquer des documents qui la compromettrait.
C’est pourquoi nous lançons un appel à tous les avocats étrangers, anglais, américains, canadiens… à échanger avec mon cabinet toutes les informations dont ils disposent pour mener à bien cette bataille judiciaire dans l’intérêt des femmes.
Et d’une manière générale à toute personne susceptible de nous aider à obtenir la vérité judiciaire et la justice dans ce scandale.
Laurent GAUDON & Marion RAMBIER
Avocats
Pour tout contact spécifique à l’affaire ALLERGAN :
tel : 06 62 34 29 44
plainteallergan@yahoo.fr
[1]Ames, B.N., L.S. Gold, and W.C. Willett, The causes and prevention of cancer. Proc Natl Acad Sci U S A, 1995. 92(12): p. 5258-65.
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